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Luleå exerce sur moi une attraction que je suis incapable de contenir. J'y étais à vélo lors de ma 2ème conquête du Cap Nord en 2016, j'y suis retourné avec le roman Återvändaren de Anders Sundkvist à l'été 2023, et j'y reviens en cet été 2024 avec cette 5ème traduction que j'entreprends aujourd'hui. Ici aussi, le centre de gravité se trouve à Luleå, une ville tout au nord du Golfe de Botnie en face de la Finlande et que j'avais atteinte en seulement... 20 jours depuis Trelleborg à l'extrême sud de la Suède, du 6 au 26 juillet 2016 après ~~ 1600 km. Ma traduction en cours du roman Twist de Klas Östergren restera en souffrance et passe en 6ème position.
Du 6 février au 28 juin 2024, j'ai fait 4319 kilomètres - les 1043 derniers de nouveau avec le bio-vélo - après avoir terminé ma 4ème traduction. Maintenant je me remets à mon bureau et j'ai le mur en face et une toute petite lithographie signée, datée de 1928, en noir & blanc, sur un papier jauni, intitulée "Vårdag", Jour de printemps, qui montre un grand corps de ferme incomparablement suédois où l'on voit des arbres, mais encore sans feuilles. L'herbe non plus n'a pas encore poussé, mais le titre est Vårdag. C'est à celui qui la regarde de s'inspirer du printemps. Je l'ai ramenée l'année dernière de Fårö. En septentrion il ne viendrait à personne d'appeler un tableau Printemps alors que les arbres sont dégarnis et que la végétation n'est pas encore apparue. Mais dans les pays nordiques le schéma indiciaire est différent, et le positionnement de soi face à l'alentour est approfondi, ce qui est pour nous intériorisé est dans le Nord un dialogue. En septentrion nous sommes trop imbéciles pour entendre d'où viennent les ondes.
L'éditeur Polaris de Stockholm vient de me donner hier après-midi son feu vert. Il s'agit de Häng City de Mikael Yvesand que je traduis provisoirement par Cité en suspens / En suspens dans la ville. Comme pour mes quatre premiers romans traduits en français depuis le suédois, je ne le lis pas à l'avance. Je réécris à la main sur mon PC de chaque chapitre 10 à 15 lignes et ensuite je les traduis, puis je recommence. Ainsi je n'ai aucune idée préconçue, pas de préjugé, aucun choix préalable qui pourraient influer sur ma traduction ou même la déformer ou la polluer. Je ne sais pas où je vais, la route est belle. Il y aura peut-être de nouveau sur tout le parcours des oies sauvages qui vont se lever à mon passage, m'accompagner sur 4 ou 5 kilomètres en faisant furieusement des rondes au-dessus de ma tête. Jusqu'au Cap Nord les oies m'avaient toujours prouvé qu'elles étaient les seuls êtres qui savent me jauger et me gratifier pour ce que je suis. Et il est passionnant de se sentir, en tant que traducteur, entonné par un langage, visité par un autre esprit, esprit auquel on ne se soumet pas, mais en face duquel on s'interroge jusqu'à se surprendre, jusqu'à pleurer parfois. Pour moi, ceci représente chaque fois 1000 heures de travail par roman d'environ 300 pages, trois mois intensifiés, et ceci n'est strictement pas différent de ce qui m'était arrivé à chaque fois que je suis parti seul, à vélo à traction animale, pour aller conquérir les Îles Lofoten/Vesterålen, plusieurs fois le Alta Platået jusqu'à Skaidi, plusieurs fois la Laponie, ou deux fois le Cap Nord au bout du continent européen, tout en sachant qu'au Cap Nord il n'y a rien à voir, rien d'autre qu'un littoral de presque 300 mètres de haut qui surplombe l'Océan Arctique glacial à bâbord et la Mer de Barents à tribord. Rien d'autre qu'un rendez-vous avec un bout, avec soi. Ne sommes-nous pas juste un bout de tunnel, un bout de lumière, dans notre chaine d'arpenteur de notre espace de vie qui ne sait demeurer que dans son inconnu? De ces rendez-vous avec soi, on en pratique dans sa vie des millions, mais un tel rdvz au Cap Nord, en venant à vélo depuis septentrion tout en sachant qu'il n'y a rien ni personne pour vous saluer, ni pour vous donner du pain, ni pour vous tendre la main, est une tirade de courage, comme nulle part ailleurs l'existence peut vous en procurer. Le 28 juillet 2016 après plus de 1600 kilomètres en 20 jours j'avais écrit >>> Et ci-dessous, regardez les belles ombres, et pourtant il est 12h20. C'est pourquoi j'aime le nord, il y a toujours une ombre de soi, on ne marche pas dessus, on ne piétine pas, on est en même temps soi et son ombre. Et puisqu'il y a ombre de soi, de nous, il n'y a pas hégémonie de l'être. L'être n'est qu'un élément de l'alentour. En ayant écrit ceci le 28 juillet 2016, j'ai comme l'impression que j'ai été dans une mouvance tout autant télépathique que prémonitoire avec le roman Häng City - Cité en suspens que je commence en ce jour du 6 juillet 2024, 8 ans plus tard, à traduire. Je vous invite à lire en entier mon post de ce 28 juillet 2016. Tout au long de ma traduction qui m'offre maintenant un voyage de 3 mois, de 1000 heures de travail, nous verrons, si, comme il semble que je le pressente en ayant juste lu à l'arrière du roman le résumé, Mikael Yvesand se meut, lui aussi, juste entre les franges de l'humain que personne ne considère.